En Guinée, la lutte contre le VIH/SIDA reste un défi majeur. Selon les statistiques de l’UNICEF en 2023, 128 259 personnes vivent avec le VIH, dont seulement 69 % bénéficient d’un traitement antirétroviral. Si la stigmatisation et l’accès limité aux soins freinent les efforts de prévention, l’essor des complexes de prostitution, où la protection n’est pas systématique, complique davantage la maîtrise de la chaîne de contamination.
Les bordels de Conakry : des lieux à haut risque
La rédaction de prescrireguinee.info, a mené une enquête dans plusieurs complexes de prostitution à Conakry pour comprendre les mesures (ou l’absence de mesures) de prévention contre le VIH/SIDA dans ces milieux.
Les travailleuses du sexe sont-elles dépistées lors de leur recrutement ?
Dans un complexe de prostitution situé dans un quartier populaire de Conakry, la gérante, Madame X, explique sous anonymat :
« J’avais instauré une règle de dépistage obligatoire pour toute nouvelle recrue. Mais cela a fait fuir presque toutes les filles. Beaucoup redoutent la stigmatisation ou ne veulent pas affronter une réalité difficile en cas de test positif. Pour maintenir mon activité, j’ai dû supprimer cette règle. »
Elle ajoute :
« Nous opérons dans la clandestinité, mais je pense que le dépistage devrait être une règle commune dans tous les bordels pour protéger les filles et les clients. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans la plupart des complexes. »
Les rapports sexuels sont-ils protégés dans les bordels ?
une travailleuse du sexe d’une trentaine d’années et mère célibataire, raconte :
« Ici, le tarif est fixé à 25 000 GNF par passage, avec un préservatif obligatoire. La patronne prélève 5 000 GNF pour le préservatif qu’elle fournit et 10 000 pour la chambre. Cela ne nous laisse que 10 000 GNF par client. »
Cependant, cette règle est souvent contournée :
« Certaines filles proposent aux clients de payer un supplément de 5 000 à 10 000 GNF pour des rapports non protégés. Parfois, ce sont les clients eux-mêmes qui offrent jusqu’à 15 000 GNF en plus. Les besoins financiers sont tels que nous acceptons, malgré les risques. »
Les préservatifs suffisent-ils à prévenir le VIH/SIDA ?
Si l’utilisation de préservatifs est recommandée pour prévenir les infections, leur efficacité peut être compromise par des accidents, comme le souligne un client, Monsieur Y. :
« Les préservatifs peuvent se déchirer en plein acte, surtout sous l’effet de l’ivresse ou lors de rapports intenses. Cela expose à des blessures qui augmentent le risque de contamination. »
Il dénonce également le manque d’hygiène dans certains complexes :
« Les chambres sont souvent insalubres. On y trouve des cheveux, des objets personnels qui traînent, et des toilettes en mauvais état. Cela n’est pas rassurant. »
Prostitution à ciel ouvert : une menace pour la jeunesse
En dehors des bordels structurés, la prostitution s’exerce également dans la rue, les boîtes de nuit, les maquis et même dans des maisons inachevées. Dans ces milieux, les rapports sexuels sont généralement non protégés, comme l’explique un jeune motard habitué de ces pratiques :
« C’est une forme de prostitution bon marché, sans contraintes, qui attire surtout la jeunesse. Malheureusement, cela augmente considérablement le risque de propagation du VIH/SIDA. »
Une indifférence des autorités ?
La prostitution est omniprésente à Conakry : dans les motels, les maquis, les coins de rue et même des structures aménagées à cet effet. Pourtant, cette situation semble se dérouler sous le regard indifférent des autorités locales et nationales.
Avec l’objectif mondial d’éliminer le VIH/SIDA comme menace de santé publique d’ici 2030, la Guinée pourra-t-elle relever ce défi alors que la stigmatisation, le manque d’éducation sexuelle et l’essor de la prostitution non protégée demeurent des obstacles majeurs ?
Morlaye KÉÏTA
610-120-805